Le journalistiquement correct, un débat dépassé avec internet

Le journalistiquement correct, un débat dépassé avec internet

Cette année 2025, la Journée mondiale de la liberté de la presse est commémorée autour du thème : « Informer dans un monde complexe : l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur la liberté de la presse et les médias ». Les événements commémoratifs se donnent de chercher à comprendre les avantages et les risques liés au développement des IA comme défis pour la liberté d’expression. En Haïti, nous sommes encore à la phase de redéfinition du métier et de remise en question de la formation professionnelle des journalistes.

Dans cet article, nous tentons de démontrer que les réflexions – sur les pratiques du journalisme dans le contexte de l’émergence des nouveaux médias – peuvent aller dans le sens d’une approche participative de production d’information et d’utilisation plus responsable de ces plateformes sans confondre journalistes et usagers d’Internet.

Sans vouloir attiser une quelconque polémique sur la perception des uns et des autres, il convient, tout de même, au nom des principes, normes, règles, institutions des sociétés démocratiques, de nous positionner sur ces épineuses questions renvoyant aux prérequis relatifs au journalisme et au titre de journaliste.

En effet, il existe une littérature très abondante sur ces questions basiques. Les manuels de journalisme, les codes d’éthique et de déontologie, les articles scientifiques, entre autres ont défini et réfléchi sur le journalisme et sur la qualité du journaliste. Il n’est donc pas nécessaire de revenir sur qui est journaliste et ce que c’est que le journalisme. Remettre ces fondamentaux sur la table prouve, une fois de plus, que le journalisme, en Haïti, est très loin d’être un corps de métier fonctionnant régulièrement. Là où le bât blesse, à notre avis, c’est la confusion alimentée entre l’exercice du journalisme et la liberté d’expression.

En ce qui concerne la liberté d’expression, la Déclaration universelle des droits de l’homme est sans équivoque dans son article 19 :

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

En ses articles 28 et suivants, la Constitution haïtienne de 1987 consacre elle aussi, sans restriction, la liberté d’expression qui englobe le travail des journalistes professionnels. Pourtant, à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai 2025, certaines voix se sont élevées contre cette liberté, dit-on, trop « libre ». Mais trop « libre » comment ? Et d’autres vont jusqu’à poser la question de savoir qui peut se prévaloir du titre de journaliste ?

D’entrée de jeu, il convient de faire remarquer que l’avènement des médias socionumériques a exercé une influence sur la pratique du journalisme à travers le monde sans pour autant remettre en question les journalistes eux-mêmes. Dans « Information et médias sociaux, les défis de la qualité », Lise Millette rappelle que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec a ajouté une section sur les réseaux sociaux à son Guide de déontologie dans laquelle elle précise que :

« Les journalistes exercent le même discernement dans l’utili­sation des médias sociaux que dans l’ensemble de leur pratique. La nature sociale de ces réseaux implique que chaque propos qui y est échangé peut devenir public, malgré la possibilité de paramétrer les réglages de confidentialité. En conséquence, les journalistes ne doivent pas tenir dans les médias sociaux des pro­pos qu’ils ne tiendraient pas en ondes ou dans leur publication ».

Ce point fondamental inséré dans ce Guide ne redéfinit pas, dans le contexte de l’utilisation des réseaux sociaux, qui est journaliste et qui ne l’est pas. Au contraire, il fait appel à une utilisation plus responsable de ces nouveaux médias. Certains auteurs dont Tessier et ses collègues soutiennent que l’environnement numérique a transformé, en vingt-cinq ans, les modalités d’exercice du journalisme à plusieurs égards. Avec ces nouvelles plateformes, les médias traditionnels n’ont plus le monopole de l’information. Cette nouvelle réalité ronge les puristes du métier.

Aujourd’hui, des gens ordinaires produisent et diffusent de l’information sans prendre forcément les journalistes comme référence. Toutefois, on doit admettre malgré les nombreux bénéfices reconnus à l’avènement des réseaux socio numériques dont la démocratisation des médias et la disponibilité d’un flux d’informations, ceci ne garantit pas totalement la qualité ou la véracité des contenus informationnels ni la professionnalisation des journalistes.

Le cyberespace offre les mêmes opportunités à tous, du moins, en théorie. Tout le monde a la possibilité de partager des informations comme l’a si bien dit Villepreux. « Il suffit d’avoir un téléphone intelligent pour être en mesure de distribuer directement une actualité sur n’importe quelle plateforme numérique ». L’information en ligne est devenue plus qu’avant une « expérience sociale », grâce au couplage entre réseaux socio numériques et possibilités de partage en mobilité avec les téléphones intelligents rappellent Rosenstiel etcollègues. Sur cette base, il paraît important d’indiquer que la frontière est très mince entre le travail des professionnels des médias et celui des amateurs ou usagers des réseaux. D’autres travaux ont scruté le changement du paradigme journalistique dans le contexte de l’émergence d’Internet. Ainsi, la notion même de professionnalisme a pu être remise en débat à l’aune des évolutions du métier de journaliste, plus précisément avec la montée en puissance des médias sociaux mais pas la qualité de journaliste.

Amalgame malsain…

En Haïti, il n’existe, à notre connaissance, aucun guide ni un quelconque code qui régit le fonctionnement des influenceurs ou amateurs qui utilisent les plateformes des réseaux socionumériques comme espace pour informer, former ou distraire leurs « abonnés ». En plus, il n’existe aucun centre spécialisé dans la formation d’influenceurs ou animateurs d’un programme sur les réseaux. Ainsi, il paraît ambigu, voire tendancieux, qu’on veuille à ce que ces derniers soient respectueux d’une quelconque éthique ou déontologie professionnelle. On devrait se faire à l’idée que ces nouveaux médias qui ne sont pas régulés allaient de toute façon déboucher sur des dérives incontrôlables. C’est inévitable ! Toutefois, vouloir mesurer ces amateurs à l’aune des professionnels des médias c’est de la manipulation malsaine.

De nombreux travaux académiques récents portent sur l’appropriation par les journalistes des réseaux socionumériques comme canaux pour informer ou s’informer. Dans « Twittering the news : the emergence of ambient journalism », Hermida développe le concept de « journalism ambient » en considérant le développement des réseaux socio numériques, principalement Twitter (actuellement X). De son point de vue, cette plateforme facilite la diffusion immédiate de fragments numériques d’informations émanant à la fois de sources officielles et non-officielles. Ainsi, les citoyens au même titre que les journalistes professionnels participent à la co-production de contenus. Ainsi, Twitter est perçu à la fois comme instrument de réseautage et environnement informationnel ambiant.

Ces considérations sont tout aussi valables pour Facebook et YouTube, pour ne citer que ces deux plateformes numériques très populaires en Haïti. Comme Twitter (actuellement X), elles offrent l’option « live » ou « en direct » qui permet aux usagers d’Internet d’être en direct absolu pour animer un « talk-show ». Ces nouveaux médias ne sont soumis à aucun règlement. Ceci est valable pour les « influenceurs », « leaders d’opinion » ou « citoyens engagés » – vocables les plus utilisés pour les désigner – qui occupent le cyberespace. On ne peut pas leur demander de se conformer aux prescrits constitutionnels ou tout autre texte règlementant le journalisme. Ils ne sont pas des journalistes. Pourquoi cherche-t-on à les confondre avec des journalistes professionnels ?

L’histoire rattrape ceux qui au cours des années 80 avaient combattu l’application du décret du 31 juillet 1986 sur la presse du Conseil national de gouvernement dirigé par le général Henri Namphy. Bien que le contexte ait justifié ce refus mais on n’en serait pas là aujourd’hui à se demander qui est journaliste et qui ne l’est pas. Aussi, le texte avait-il posé les jalons pour une presse avec des journalistes formés, du moins, ayant le minimum de connaissance, de compétence requise pour exercer le métier en tant que professionnels.

Aujourd’hui, on ne fait plus référence à la formation des journalistes pour le fonctionnement d’une presse avec des éléments plus aptes à exercer le métier. De préférence, une opportunité individuelle s’offre à certains pour se mettre en avant et faire une comparaison décontextualisée. L’exercice de la profession n’est plus ce qu’elle était il y a 20 ans. La migration du public vers les réseaux socionumériques pousse les médias à informer autrement. Le public n’est plus à la recherche de l’information, c’est l’information qui est à la recherche du public selon Charaudeau. Ceci explique pourquoi il y a un engouement pour la « parole libre » que favorisent les médias sociaux. Par « parole libre » nous entendons un discours qui n’est pas censuré, contrôlé, spécialisé.

Dans un texte qu’il a publié dans « Le Monde diplomatique » Ignacio Ramonet, a fait remarquer que l’information devient encore plus mobile et plus nomade, c’est-à-dire on peut savoir, à tout moment, ce qui se passe dans le monde. Il a toutefois porté un regard critique sur l’avènement des « blogs » qui, d’après son analyse, ont eu du succès parce qu’ils mélangent parfois, sans complexe, information et opinion, faits vérifiés et rumeurs, analyses documentées et impressions fantaisistes. L’engouement des lecteurs pour ces pratiques est une marque d’appréciation pour la subjectivité et la partialité assumée des blogueurs. Si l’on transpose ces considérations aux réseaux socio numériques, on comprend aisément leur succès et, par la même occasion, le déclin de l’audience de certains médias traditionnels qui sont restés professionnels.

S’il faut apporter des correctifs au travail des « bloggeurs », « influenceurs », « usagers d’Internet » et « citoyens engagés » qui animent des programmes sur les réseaux socionumériques, il faudra d’abord penser à délimiter – si possible – les champs de compétence, ensuite reconnaître le travail des amateurs sur les réseaux en dépit de leur faiblesse et enfin définir un cadre légal pour gérer tout cela. On peut toujours polémiquer sous couvert de déception personnelle mais il faut appeler un journaliste un journaliste et pareil pour les autres.

Jacky MARC

Bibliographie

Cardon, D. (2025). Les Gilets jaunes, entre ronds-points et pages Facebook. Réseaux251(3), 219-222.

Hermida, A. (2013). # Journalism: Reconfiguring journalism research about Twitter, one tweet at a time. Digital journalism1(3), 295-313.

Millette, L. (2013). Information et médias sociaux, les défis de la qualité. Éthique publique. Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale15(1).

Purcell, K., Rainie, L., Mitchell, A., Rosenstiel, T., & Olmstead, K. (2010). Understanding the participatory news consumer. Pew Internet and American Life Project1, 19-21.

Ramonet, I. (2005). De la qualité de l’information dépend celle du débat citoyen. Media en crise. P. 1,26 et 27. Repéré à http://www.monde-diplomatique.fr/2005/01/RAMONET/11796

Villepreux, O. (2021). Journalisme. Le mot est fiable, Anamosa, p 1-110.

Wagemans, A., Witschge, T., & Deuze, M. (2016). Ideology as resource in entrepreneurial journalism: The French online news startup Mediapart. Journalism practice10(2), 160-177.

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