En Haïti,la lutte contre la corruption est prise au piège des intérêts croisés, soutiennent des défenseurs de droits humains

Depuis sa création en 2006, l’Unité de lutte contre la corruption a déjà produit et soumis pas moins de 69 rapports aux différentes juridictions du pays pour suites légales à l’encontre de fonctionnaires malhonnêtes ou suspectés de comportements inappropriés en ce qui a trait aux finances publiques. Le dernier ‘’réquisitoire’’ en date de l’ULCC concerne d’anciens hauts dignitaires du pays y compris d’ex parlementaires contre lesquels l’institution requiert des mesures fortes. Mais une démarche qui semble avoir peu d’avenir selon des structures de la société civile.
Port-au-Prince, le 6 avril 2023.-
“Épingler des dirigeants de l’État et des fonctionnaires sur qui pèsent des soupçons de corruption c’est bien mais ces actions se heurtent toujours sur la dépendance des parquets qui, pour des raisons politiques, ne peuvent pas mettre l’action publique en mouvement contre ces accusés”, se plaint le co-directeur du collectif Défenseurs Plus, Antonal Mortimé.

Le militant des droits humains se réfère aux pratiques à la mode dans le système pour asseoir sa thèse. D’entrée de jeu, il identifie la malhonnêteté de certains acteurs du système comme étant l’un des handicaps majeurs au combat contre le fléau de la corruption endémique qui atteint son paroxysme en Haïti.
Comme lui, d’autres personnalités du pays avouent leur méfiance quant à l’éradication de la corruption sans l’implication du plus grand nombre. “Le combat contre la corruption doit être soutenu par l’opinion publique’’ recommande Rosny Desroches. « Pour un meilleur traitement des dossiers, les juges doivent être protégés et disposer de véhicules blindés pour leurs déplacements » insiste le dirigeant de l’observatoire citoyen pour l’institutionnalisation de la démocratie (OCID).
Parallèlement, les efforts d’assainissement du pouvoir judiciaire doivent continuer en mettant de côté les magistrats corrompus requiert le professeur Desroches qui ne jure que par un renforcement du CSPJ.
Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire mérite des moyens adéquats pour assurer son travail de police des juges de la république car 10 ans après sa mise en place, cette instance peine à jouer pleinement son rôle, celui d’assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire regrette Rosny Desroches.
Devant un tel constat, il n’est pas évident de parvenir à la poursuite des accusés, pour la plupart d’anciens gros bonnets de l’état à même de soudoyer ceux qui sont préposés à les faire rendre des comptes à la nation. Et c’est justement l’une des raisons pour lesquelles il est nécessaire pour la justice de faire la lumière sur les soupçons de corruption relevés lors du processus de certification des magistrats par la commission technique du CSPJ déclare Antonal Mortimé.
Les dernières personnes indexées par l’ULCC ont été récemment aux commandes dans des institutions publiques comme le parlement, l’Administration Générale des Douanes (AGD), l’Autorité Portuaire Nationale (APN), la Caisse d’Assistance Sociale (CAS), la Mairie de Pétion–Ville et l’Université Publique de l’Artibonite aux Gonaïves notamment pour détournements de fonds publics, prise illégale d’intérêts, d’enrichissement illicite et de fausse déclaration de patrimoine.

Sept anciens sénateurs ont été également démasqués par l’ULCC pour absence de déclaration de patrimoine à l’entrée et à la sortie de leur fonction, Ainsi, l’Unité de Lutte Contre la Corruption exige que les nommés Nawoom Marcelus, Dieudonne Luma Étienne, Jacques Sauveur Jean, Jean Mary Junior salomon, Richard Lenine Hervé Fourcand, Wilfrid Gelin et Willot Joseph soient interdits d’exercer leurs droits civils, politiques et de famille, particulièrement en ce qui a trait au droit de vote et d’élection à l’éligibilité, pour une période de cinq (5) ans, pour non-respect des dispositions relatives à la déclaration de patrimoine.
Paradoxalement, l’ancien sénateur Youri Latortue qui a dirigé la commission anti-corruption du grand corps, a été lui aussi épinglé dans le dernier rapport de l’ULCC l’accusant de favoritisme, de prise illégale d’intérêts et détournement de fonds publics.
“Nous sommes face à un pillage systématique des maigres ressources de l’État par des gens fortunés et haut placés politiquement. Il nous faut des citoyens responsables civiquement et politiquement pour conduire une révolution qui peut déboucher sur le changement des paramètres politiques dans le pays”, tranche Antonal Mortimé, l’air dégouté.
« S’agissant du mandat international décerné contre l’ancien Directeur Général du BMPAD, Patrick Noramé, le dossier ne pourra pas aboutir car l’avocat de M. Noramé, Me André Michel est très haut placé dans les sphères du pouvoir », affirme le militant des droits humains.
Toutefois, le co-directeur du collectif Défenseurs Plus se veut prudent par rapport à l’impartialité des rapports produits par l’unité de lutte contre la corruption étant donné que certains rapports sont parfois instrumentalisés ou politiquement motivés.
“Ces rapports constituent un bon pas mais malheureusement la justice n’est pas au rendez-vous”, déclare au contraire le professeur Rosny Desroches du comité de pilotage de l’OCID.
Népotisme, concussion, forfaiture ou abus de pouvoir de tous types rythment le cours de l’administration publique en Haïti, un pays jugé dysfonctionnel depuis plusieurs années.
En dépit des mécanismes et structures mis en place le plus souvent à la demande de l’international pour décourager les potentiels corrompus, les plus malins parviennent toujours à se tirer d’affaires jusqu’à réussir à prendre d’assaut les plus prestigieuses institutions du pays. Tout cela au grand dam de ceux qui se considèrent comme les avant-gardistes de la république.
Rosny Desroches de l’OCID et Antonal Mortimé du Collectif Défenseurs Plus disent ne pas être étonnés en dépit de leur grande déception du fait qu’au cours de ces dernières années, plusieurs individus au passé douteux ont trouvé refuge au parlement haïtien.