L’arrêt de travail des parquetiers et des greffiers: à la base, une revendication légale, mais une punition non méritée infligée aux avocats et aux justiciables

Par Me Max Yvens CLOTAIRE
Depuis quelques années, les acteurs du système judiciaire dont les juges, les greffiers et les parquetiers utilisent les “arrêts de travail” comme ultime recours pour faire passer leurs revendications (axées sur un traitement égal aux magistrats assis et debout), et pour forcer l’état et/ou le gouvernement actuel à honorer les engagements pris au fil des temps par les gouvernements antérieurs, restés sans suites.
La revendication est légale.
Les initiateurs (les parquetiers en particulier) appuient leur démarche sur les dispositions de lois en vigueur sur la magistrature, entre autres la loi du 27 novembre 2007, prévoyant un traitement adéquat à tous les magistrats sans distinction, par rapport à leur rang et à leur fonction. Quant aux greffiers, ils réclament de meilleures conditions de traitement, la nomination de ceux répondant aux critères établis, l’ajustement de leur salaire eu égard à l’inflation galopante, à la cherté de la vie et certains autres avantages.
Partisan de la loi et de son application, je suis pour un dénouement dans l’immédiat de cette crise qui a déjà trop duré ; je suis aussi pour l’adoption de mesures urgentes pour satisfaire les justes réclamations des revendicateurs.

Cependant, quelque justes que soient leurs revendications, il faut qu’ils se rendent à l’évidence que le gouvernement d’Ariel Henry, s’il fait semblant d’apporter une solution à ces différentes réclamations, il n’a au fond aucun intérêt dans la bonne marche de la justice, aucune volonté réelle de résoudre les différents problèmes qui empêchent son bon fonctionnement. Sinon, dès l’annonce faite par les substituts et les greffiers des 18 juridictions du pays, de vrais dirigeants, s’il y en avait, auraient plutôt joué un rôle préventif, compte tenu des conséquences que cela allait engendrer.
Nous parlons ici de la justice dans un pays, le dernier rempart dit-on ; de l’importance des cours et tribunaux de la République, lesquels doivent siéger en permanence, surtout à un moment où le pays est rongé par le grand banditisme, où la population, sans espoir, exposée au kidnapping, aux pires atrocités des gangs qui vont même jusqu’à brûler vifs les gens-se voit obligée d’adopter le “Bwa kale”: une forme de justice privée, une sorte de représailles, en vue de se défendre. La nature ayant toujours horreur du vide !
Devant ce constat alarmant, mes frères greffiers et parquetiers, pouvez-vous continuer à revendiquer dans le vide, à mettre en veilleuse la justice par la cessation des travaux judiciaires?
Répondons par la négative.
“L’arrêt de travail” doit cesser immédiatement. Je ne vous accuse point. Car, je suis de votre côté. Mais, ne soyez pas complices de ce déni dont est seul responsable : le gouvernement de facto actuel qu’on accuse de tous les maux, dont on devrait même refuser l’accès aux assises et réunions internationales, pour défaut de légitimité en l’absence des trois pouvoirs de l’État. Faites corps de préférence avec la population, seule souveraine, et exigez plutôt à ses côtés, le départ d’Ariel et des membres de son gouvernement. La conjoncture le commande. Ce faisant, vous apporterez votre pierre à la construction de la nouvelle Haïti qui aura pour fondement : la justice, avec emphase sur le respect des droits fondamentaux de tout un chacun.
En définitive, rendez-vous compte enfin qu’Ariel et son équipe sont “sans cœur”, sans pitié, ils sont sourds, insensibles, ils n’entendent pas vos doléances; persister dans cette voie sans issue, c’est faire souffrir davantage la multitude de gens qui croupissent en prison, souvent sans motif légitime, sans être jugés, alors que les grands bandits circulent librement au vu et au su de tous, sans être inquiétés.
Que dire des avocats, réduits au chômage, qui ne vivent plus décemment de leurs toges, pour la plupart en voie de quitter le pays ou d’embrasser d’autres champs ou activités incompatibles avec leur métier.
C’est avec raison que nous répétons que cet arrêt de travail est une punition non méritée infligée aux avocats et aux justiciables.
Maître Max Yvens CLOTAIRE, Avocat au Barreau des Cayes.