Diplomatie haïtienne: guerre de clans ou une course au monopole de la corruption…
Depuis plus de deux ans, des allégations de corruption entachent l’image de pas mal de représentants affectés aux différentes missions diplomatiques d’Haïti à l’étranger. C’est le cas du Chili, du Canada et des États-Unis d’Amérique entre autres. Chez « l’Oncle Sam », le personnel réparti à travers l’ambassade à Washington et les différents Consulats situés dans les villes à forte concentration d’haïtiens fait l’objet de reproches multiples. En témoigne le dernier scandale qui a coûté au chef de mission, Bocchit Edmond, son poste après plus de 32 ans de service dans la diplomatie haïtienne. Si, à la base de cette décision du Ministère des Affaires étrangères de rappeler son ambassadeur se trouve une question de corruption, d’aucuns se questionnent sur le déballage qui s’en est suivi. Dit autrement, cette affaire n’est-elle que la partie visible de l’iceberg de la corruption qui gangrène l’État haïtien en général, un terrain sur lequel chacun veut s’imposer en maître et seigneur ?
Port-au-Prince, le 8 mai 2023.-
Plutôt que d’être traité dans la sérénité, administrativement selon la loi et les règlements y afférents, le rappel de l’ambassadeur Bocchit Edmond a donné lieu à tout un déballement médiatique où particulièrement deux ex-ministres des Affaires étrangères du pays se sont illustrés dans une guerre de dénonciations. Chacun voulait paraitre moins corrompu que l’autre. En tout cas, dans l’opinion.
Mais n’ont-ils pas servi le même régime tous les deux ? Bocchit Edmond avait laissé son poste d’ambassadeur d’Haïti à Washington pour prendre les rênes du Ministère des Affaires étrangères et des Cultes sous Jovenel Moïse tandis que Claude Joseph était chef de mission en Espagne. Et quand, à l’occasion d’un remaniement ministériel, Claude Joseph s’est vu octroyer le MAE, Bocchit Edmond, lui, est retourné à l’ambassade à Washington en 2020. Que s’est-il passé entre les deux ?
Dans un rapport sur les actes de corruption à l’Ambassade d’Haïti à Washington en Août 2021, quatre personnes ont été accusées pour leur implication dans la production irrégulière de passeports dont le titulaire de l’Ambassade, Bocchit Edmond. Les derniers rebondissements de ces soupçons de corruption conduisent à sa révocation ou encore son rappel à Port-au-Prince.
Cette décision est survenue deux ans après la production d’un rapport citant le nom de l’Ambassadeur dans des actes malhonnêtes, ce qu’il rejette complètement dans un rapport parallèle adressé au ministère de tutelle.
En effet, en Août 2021, après l’implication d’un haut fonctionnaire de l’Ambassade, en l’occurrence Gélorme Juste (cousin de Claude Joseph) dans un dossier de blanchiment d’argent pour une somme de 50.000 $ en provenance de Chili, une commission a été envoyée par la chancellerie à Washington pour mener une enquête. Au terme de la mission de cette commission, elle a révélé d’autres informations liant d’autres personnes à des cas de corruption dont Bocchit Edmond et sa Sœur Bettina Edmond Mexil, qui travaillait à l’Ambassade avant son transfert au consulat d’Haïti à New-York.
Mais rien de tout cela n’est vrai rétorque le diplomate indexé. Bocchit Edmond rejette d’un revers de main ces allégations qui-dit-il-n ’ont que pour seul objectif de ternir son image après 32 ans de service dans la diplomatie haïtienne.
Dans son contre-rapport publié le 18 Avril 2023, prenant le contre-pied des conclusions du travail de la commission dépêchée par la chancellerie en août 2021, l’Ambassadeur tente de clarifier certains faits et laver son image tout en accusant à son tour son ancien ministre de tutelle.
Il décrit Claude Joseph comme son ‘’concurrent immédiat’’ depuis son arrivée à la chancellerie sous la présidence de Jovenel Moïse. Toujours dans son rapport responsif, produit deux ans après les révélations de la commission d’enquête spéciale envoyée par le ministre Claude Joseph à Washington, Bocchit Edmond met en évidence la non-objectivité du rapport produit.
Au moins deux (2) des fonctionnaires accusés n’ont pas été auditionnés par les membres de la commission à savoir lui-même (Bocchit Edmond) et sa Sœur déplore-t-il. Tout compte fait, l’ambassade d’Haïti s’inscrit en faux contre les accusations impliquant le chef de mission dans des cas de fraude ayant rapport à la production de passeports aux États-Unis.
Et comme pour reprendre le jeu des dénonciations à son compte. Bocchit Edmond accuse et accuse encore son ancien supérieur hiérarchique.
Il impute à Claude Joseph le fait d’avoir banalisé la diplomatie haïtienne avec des incompétents pour la plupart des membres de sa famille et des amis nommés dans des fonctions qui n’ont rien à voir avec leurs qualifications ou compétences réelles.
Et les accusations mentionnées dans le rapport d’Aout 2021 dont une copie a été transmise au département d’État américain se faisaient ‘’juste dans le but de nuire à sa carrière et sa réputation’’, déclare le diplomate.
Avant ce rebondissement dans l’affaire des scandales à répétition dans la diplomatie haïtienne, l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) avait adressé une correspondance aux personnes incriminées en vue de leur donner la possibilité de s’expliquer. Elles ont toutes décliné l’invitation sous prétexte que la formalité n’était pas respectée.
Depuis, les accusés restaient en poste à l’exception de Gélorme Juste qui a été rappelé aux services centraux de la chancellerie.
Des deux côtés, l’on clame son innocence en tirant à boulets rouges sur la partie adverse. En attendant de savoir s’il a tort ou raison, Bocchit Edmond a déjà été remplacé par Louis Harold Joseph à l’ambassade d’Haïti à Washington. Il n’aura pas résisté cette fois aux accusations de corruption comme c’était le cas en 2021. A l’époque, l’ancien président de la commission éthique et anti-corruption du sénat de la République Youri Latortue l’avait reproché ainsi que d’autres cadres de la mission d’Haïti à Washington dans le détournement de près de 4 millions de dollars américains. Il avait tout démenti.
Comme à chaque épisode de scandale de corruption au sein de l’État, des présumés corrompus cherchent à parler plus fort que d’autres sans l’intervention d’une instance préposée à cette fin pour trancher.
Comme à chaque fois, cette affaire restera sans doute lettre morte et n’ira donc pas plus loin que les dénonciations de part et d’autre. D’autres dossiers de corruption sont probablement en train d’être couvés en attendant que de nouveaux intérêts soient lésés au détriment de la collectivité.
