Guy Philippe: révolutionnaire ou l’expression d’une déchéance totale…

Guy Philippe: révolutionnaire ou l’expression d’une déchéance totale…

Fort de ses talents de penseur-visionnaire, Justin Lhérisson, parlant d’Haïti, nous avait prévenus : « Dans ce pays, l’impossible est possible et le possible impossible… ». Chaque jour qui passe, en parole et en action, nous donnons raison à l’auteur des paroles de l’hymne national d’Haïti (La Dessalinienne). En 2024, c’est impensable de voir que bon nombre d’Haïtiens ne sont toujours pas habitués aux multiples visages de la Grande Imposture, après avoir été pendant très longtemps le dindon de la farce d’hommes et de femmes politiques de tout acabit.

Aujourd’hui, notre incapacité de distinguer le bien du mal, le vrai du faux est telle que même un repris de justice mal affublé d’un costume de révolutionnaire est capable de s’ériger en sauveur ou faiseur de miracles, pour faire rêver des citoyens légitimement assoiffés de l’arrivée d’un changement sans cesse retardée. 

Comme si l’on pouvait demander des œufs aux cabris, aujourd’hui des milliers d’hommes et de femmes affirment compter sur l’ancien condamné pour blanchiment d’argent en provenance du trafic illicite de la drogue pour « sortir Haïti du chaos ». Gâchis ! Ils semblent avoir pourtant oublié que par ses agissements passés, Guy Philippe a largement contribué lui aussi à faire d’Haïti un endroit qui rivalise à l’heure qu’il est avec l’enfer. 

En Haïti, des expressions comme contrôle socialreddition de comptedevoir de mémoire, entre autres, ne figurent malheureusement pas dans notre vocabulaire de peuple. Voilà, qui explique pourquoi les démons d’hier peuvent se faire passer allègrement, aujourd’hui, pour les plus saints parmi les saints. 

Pourtant, un simple effort pour combler le vide de la pensée suffirait à faire tomber des masques, bannir le mal social. Une simple remontée dans l’histoire relativement récente est susceptible de faire saisir Guy Philippe dans sa plus simple expression. Formé en Equateur par les Forces Spéciales des Etats-Unis, il a le mérite d’être qualifié de « bon soldat ». 

Cet homme qui a fait du franc-parler empreint de populisme et de démagogie sa réputation, était accusé, on se le rappelle, d’avoir orchestré une attaque meurtrière contre l’Académie police en 2001 ; cette même année, soit le 17 décembre plus précisément, il était pointé du doigt comme l’un des cerveaux de la tentative de coup d’Etat contre le Président d’alors, Jean-Bertrand Aristide. 

Mais, peu avant, soit en 2000, Guy Philippe avait été renvoyé de son poste de Chef de la police du Cap-Haïtien pour comportement jugé indigne de l’institution policière et autres faits portant atteinte à la bonne marche de la démocratie. Principale figure armée de la lutte menée contre le chef à vie de Fanmi Lavalas en 2004, il traine derrière lui un passé littéralement sombre marqué par des massacres perpétrés contre des civils et des policiers.

Suspecté de trafic de stupéfiants, il était recherché en 2007 par la DEA et le BLTS dans la Grand’Anse, plus exactement à Pestel son fief. Effet de la justice immanente ou cause de la justice transcendante, en tout cas en janvier 2017 Guy Philippe a été arrêté puis extradé vers les Etats-Unis où il a été condamné à neuf (9) ans de prison par une juge de Miami pour blanchiment d’argent en lien avec un trafic international de stupéfiants. Nota Bene : le sénateur élu de la Grand’Anse avait plaidé coupable de blanchiment d’argent pour des sommes reçues illégalement à la fin des années 1990 et au début des années 2000. 

Il a été établi par la justice américaine que l’ex-putschiste avait empoché 1,5 million de dollars de pots de vin pour assurer le transfert sans encombre de cargaisons de stupéfiants. Outre ses nombreux qualificatifs dépréciatifs (hors la loi, putschiste, trafiquant de drogue, chef rebelle…), cet homme âgé de 55 ans a toujours été, dit-on, à tort ou à raison, une marionnette entre les mains de l’Oncle Sam. Voici ici présenté le très pâle reflet de cet individu qui, admettons-le, excelle dans l’art de passer entre les mailles du filet. 

Aujourd’hui, les images venues de la ville de Jérémie en ébullition pour réclamer l’intronisation de Guy Philippe comme le Deus ex machina capable de mettre fin à tous nos maux, sont on ne peut plus inquiétantes. Elles donnent à voir le degré de déchéance morale qui caractérise notre société apte à plébisciter sans scrupule l’immonde, la bêtise et le blâmable.

La foultitude jérémienne scandant des slogans favorables à ce défenseur tardif de la République, usurpateur du beau titre de Révolutionnaire, brise net l’optimisme de ceux qui, à la faveur des sanctions internationales et des sorties inouïes de quelques juges d’instruction haïtiens, croyaient que les jours de l’Imposture étaient comptés en matière de politique en Haïti. Comme les mythes, le grand bluff politique a la vie dure.

Etonnant pour un peuple dont toute l’histoire, de l’Indépendance (1804) à nos jours, est traversée par le mensonge, et qui pis est, n’arrive toujours pas à s’en désaccoutumer. Pourtant, personne ou presque ne s’en étonne, encore moins s’en offusque. Là encore, Justin Lhérisson avait mis en garde, toujours parlant d’Haïti : « Ici, vous vous étonnerez qu’on puisse encore s’étonner de quelque chose ». Que Guy Philippe soit en 2024 loué par certains comme le Moïse des temps modernes, rien d’étonnant puisque la Première République noire est aussi un singulier petit pays. 

Télégramme360

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