Les Forces Armées d’Haïti: du rejet à l’acceptation, regard sur un nouveau chapitre dans l’Histoire Militaire du pays…

Les Forces Armées d’Haïti: du rejet à l’acceptation, regard sur un nouveau chapitre dans l’Histoire Militaire du pays…

Par Jude Martinez Claircidor

Lors de la commémoration du 219e anniversaire de la bataille de Vertières, en novembre 2022, le major Eddy Marcelin, membre des Forces Armées d’Haïti Remobilisées, avait ému l’assistance avec des paroles passionnées. Fondant en larmes, il avait lancé un appel poignant : “Donnez-nous un char d’assaut, deux véhicules blindés, un hélicoptère de combat, et dans deux semaines, nous mettrons fin au désordre”. Cette déclaration reflétait la détermination de cette armée renaissante à affronter les gangs qui menaçaient la stabilité de la capitale particulièrement.

Cela nous ramène à l’histoire mouvementée des Forces Armées d’Haïti, marquée par des hauts et des bas. Fondée sur les cendres de la lutte pour l’indépendance contre la plus grande armée de 1803, celle de Napoléon Bonaparte, l’armée indigène est rapidement devenue un symbole de fierté nationale. Cependant, elle a également été associée à des périodes sombres, notamment des massacres de civils et des ingérences politiques, qui ont culminé avec sa dissolution en 1995.

Ces agissements ont instillé dans l’imaginaire collectif une profonde peur envers cette armée, devenue synonyme de déstabilisation, de brutalité et de pouvoir oppressif. Elle était perçue comme un instrument au service de la bourgeoisie pour protéger ses intérêts politiques et économiques. La population, lassée des exactions des soldats et des généraux des Forces Armées d’Haïti, manifestait presque quotidiennement, clamant des slogans tels que « kraze lame a, ban m kò polis la », réclamant la démobilisation des FAD’H qui évoquaient tant le règne de la dictature des Duvalier. C’est ainsi qu’elle a été dissoute en 1995 par l’ancien président Jean Bertrand Aristide.

L’avènement du président Michel Martelly a été crucial pour que la question de la remobilisation des forces armées refasse surface. À la fin de son mandat, un décret a été publié dans le Moniteur #205 du 26 octobre 2015, remobilisant officiellement l’armée d’Haïti. Cependant, il n’a pas pu assurer le suivi de ce décret ni rendre cette armée opérationnelle en raison des oppositions internes et externes.

Malgré ces oppositions, les FADH ont été remobilisées officiellement à travers deux arrêtés présidentiels pris les 15 et 17 novembre 2017 (à l’issue de la présidence transitoire assurée par Jocelerme Privert) par son successeur Jovenel Moïse. Les nouveaux soldats, formés pour assurer la défense du territoire national, sont également dotés de compétences spéciales, les habilitant à mener des opérations de secours en cas de désastres.

Le 28 mars 2018, le président haïtien Jovenel Moïse a procédé à l’installation du haut état-major de l’armée nationale, marquant ainsi le symbole de la reformation de cette force. Puis, le 14 août 2019, il a présidé la cérémonie de graduation de la première promotion de soldats, membres des nouvelles Forces Armées d’Haïti, remobilisées, qui s’est tenue à Léogâne, à la base Anacaona. 

Que l’on soit en accord avec lui ou non, il est largement reconnu que Jovenel Moïse a relevé le défi de reconstituer l’armée d’Haïti, et ce, sans budget et sans le soutien de la communauté internationale. Malgré les moqueries, railleries dont il a été l’objet, sa démarche a abouti à la formation de cette nouvelle force armée, souvent qualifiée de toutes sortes de maux sous les sobriquets de “Lame po bannan” ou “Lame pope twèl”

Avec ses 2500 hommes, cette nouvelle force joue actuellement un rôle crucial aux côtés de la police nationale dans la lutte contre les gangs, empêchant ainsi des scénarios catastrophiques. Sans la présence des forces armées d’Haïti, les dégâts causés par les malfrats seraient bien plus graves, avec le risque qu’ils prennent d’assaut le palais national ainsi que toute la zone du Champ de Mars.

Les efforts visant à équiper les Forces Armées d’Haïti en armes et équipements militaires se sont heurtés à des restrictions internationales imposées depuis le coup d’État de 1991. Toutefois, l’armée a progressé de l’état de rejet et de bannissement à une meilleure appréciation, suscitant désormais une confiance renouvelée de la part de la population, de la communauté internationale et même du gouvernement.

Des membres de l’armée ont été déployés pour assurer la sécurité du Premier Ministre Ariel Henry avant sa déchéance. Des voix se lèvent pour réclamer la levée de ces restrictions, reconnaissant le rôle vital que joue ladite armée dans la ‘’sécurité nationale’’. La semaine dernière, le sénateur de Floride, Marco Rubio, a exprimé son souhait que le Congrès américain annule les mesures de restrictions sur la vente d’équipements militaires aux forces armées d’Haïti.

Selon un article du Miami Herald en date du 12 avril 2024, l’Administration Joe Biden manifeste des velléités d’apporter une aide matérielle aux forces de l’ordre (FAD’H et PNH). Face aux obstacles pour déployer une mission de police dirigée par le Kenya contre les groupes armés en Haïti, le président démocrate adopte une stratégie similaire à celle employée en Ukraine.

Keith Mines de l’Institut américain pour la paix souligne l’importance de cette aide pour maintenir l’ordre et limiter l’approvisionnement des gangs. En utilisant l’autorité de réduction présidentielle, Biden a autorisé le secrétaire d’État Antony Blinken à fournir jusqu’à 10 millions de dollars en armes, munitions, gilets pare-balles et casques provenant de « toute agence du gouvernement des États-Unis » ainsi que de l’éducation et de la formation militaires du Département de la Défense pour aider Haïti.

Les militaires haïtiens reçoivent leur formation en Haïti ainsi qu’à l’étranger, notamment en Équateur, au Mexique et au Chili. L’armée se compose de différents corps distincts, notamment le génie militaire, le corps médical et l’aviation. 

Placées sous le commandement du Général en chef Jodel Lesage, les Forces Armées d’Haïti ont su se réinventer, laissant derrière elles les controverses passées. Leur neutralité et leur engagement dans la lutte contre les gangs ont gagné le respect d’une large partie de la population. Le Conseil Présidentiel de Transition et le nouveau gouvernement devraient capitaliser sur cette transformation en fournissant les ressources nécessaires pour renforcer cette entité. Ainsi équipée, elle pourrait contribuer efficacement à restaurer la paix tant désirée par les Haïtiens vivant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

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