Rivière massacre: quand un “geste collectif” rappelle la nécessité de “faire nation”

Rivière massacre: quand un “geste collectif” rappelle la nécessité de “faire nation”

En réponse à la construction du canal sur la Rivière Massacre, côté haïtien, le Président dominicain, Luis Abinader, a péremptoirement ordonné la fermeture des frontières avec Haïti. Une fermeture que le Chef de l’État de la partie orientale de l’Ile veut « hermétique », « totale » : terre, mer, air. En contre-réponse à la réponse d’Abinader, des Haïtiens de tous les secteurs crient, impavides : Kanal la Pap Kanpe ! Sans exagération, ça sent la panique morale !

En attendant qu’Haïti redevienne, dans le réel, une terre agricole essentiellement riche, c’est d’ailleurs le but de la population de Ouanaminthe qui montre la voie par la construction du canal d’irrigation envers et contre tous, elle (Haïti) ne rate jamais l’occasion de montrer que de la profondeur des entrailles populaires gîtent des slogans mobilisateurs capables de donner génialement aux emmerdeurs de tout acabit, blancs ou noirs, la monnaie de leur pièce. L’affirmation Kanal la Pap Kanpe rappelle, par la force de conviction qui la sous-tend, le cri Dessalinien libérateur Koupe Tèt, Boule Kay. Dans les deux cas, il s’agit de l’insolence d’un peuple libre qui répond à l’arrogance d’un apprenti commandeur-donneur-de-leçons qui se croit Maître du monde. Soit !

Par-delà la première prise haïtienne en voie de construction sur la Rivière Massacre, il faut voir dans le geste collectif des habitants de Ouanaminthe (Nord-est), un acte qui nous rappelle, fils d’Humanistes libérateurs, l’impérieuse nécessité de « faire nation ». Qu’est-ce qu’une nation sinon un rêve d’avenir partagé. Dans sa conception subjective, plus substantielle dirions-nous que celle objective, la nation c’est, pour donner la parole à Georges Albertini, continuer à être ce que l’on a été ; c’est donc, même à travers l’attachement au passé, une représentation du futur.

Quelque part dans sa visée, le geste collectif du Nord-est dégage l’odeur sui generis d’un rassemblement d’esclaves nègres (1791) conscients qu’eux aussi ont droit à la vie, à l’humanité…, à l’eau. La construction du canal, qui fait sortir Luis Abinader et ses affidés de leurs gonds, est un bel exemple de ce que peut provoquer notre UNION.

A l’Est comme à l’Ouest, au Nord comme au Sud, notre UNION peut « déranger ». Ce n’est pas tant la construction du canal et la prétendue altération du débit de la Rivière Massacre qui dérangent M. Abinader, mais c’est plutôt la conjugaison des forces d’hommes et de femmes andeyò, engagés dans l’exécution d’une œuvre d’envergure qui enlève le sommeil du Président dominicain. Que les Haïtiens soient encore capables de s’unir pour construire, il y a de quoi s’inquiéter. 

Abstraction faite de la réalité sociologique complexe et sensible sur laquelle elle s’appuie, une nation est une communauté de rêves, une grande solidarité constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. En attendant de remettre en marche notre démocratie en mode pause, Kanal la Pap Kanpe ! L’inachèvement ne peut plus, ne doit plus nous définir en tout.

Stopper les travaux de construction du canal comme l’appelle de tous ses vœux Luis Abinader, c’est non seulement tuer l’espoir d’irriguer plus de 3000 hectares de terres dans la plaine de Maribahoux, mais c’est aussi renoncer à l’occasion de réapprendre à dire NON. Dire NON face à l’absurdité sans nom, c’est « être » et se donner une chance de devenir. Devenir une nation, en attendant d’être un État-nation, c’est pour nous, Haïtiens, une impérative nécessité. 

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