Port-au-Prince: un carnaval “sans couleurs”, à l’image du pays

Port-au-Prince: un carnaval “sans couleurs”, à l’image du pays

Les traditions sont comme les mythes : elles ont la vie dure. L’organisation du carnaval 2024 à Port-au-Prince sur fond d’insécurité grandissante et de misère intenable en est la preuve tangible. 

Presque contre toute attente, la Mairie de la capitale a fait du Champ-de-Mars le théâtre d’une ambiance carnavalesque… mitigée. Contrairement aux années précédentes, ce n’était pas la grande foule. Toutefois, des milliers de carnavaliers ont emboité le pas aux autorités locales, en se défoulant dans une atmosphère de fête en demi-teinte les 11, 12 et 13 février 2024. 

A la deuxième journée des ‘’festivités’’, des bandits s’y sont invités en jouant les trouble-fêtes. Bilan : un mort, plusieurs blessés par balles. Pour autant, les responsables n’ont pas mis fin à cette manifestation culturelle qui est devenue, à mesure que l’insécurité et la misère augmentent dans le pays, un véritable sujet de controverse. 

Pour ou contre le carnaval ? En tout cas, ceux-là même qui sont concernés au premier degré, en l’occurrence les Groupes musicaux (les ténors en particulier), font le mort depuis que le pays est traversé par des crises multidimensionnelles et multiformes.  

Prudence politique ou rattrapage du train en marche, le Ministère de la Culture et de la Communication s’est fendu d’un communiqué dans la matinée du deuxième jour gras. Dans ce document, le MCC, dont Emmelie Prophète est la titulaire, jubile subtilement : 

« Sous les auspices de la Mairie de Port-au-Prince, le Champ-de-Mars, à Port-au-Prince, est depuis environ 10 heures AM, le dimanche 11 février 2024, le théâtre des défilés carnavalesques à l’occasion du premier jour de cette manifestation culturelle. Le décor était bien planté pour accueillir les participants et les participantes. 

À l’image des années antérieures, cette première journée d’activités carnavalesques a permis une immersion du public dans la culture locale à travers les défilés des bandes à pied, les danses et des œuvres traditionnelles. Les carnavaliers et carnavalières ont bougé au rythme des meringues de DJs ». 

Parcours limité, absence des Groupes musicaux à grande réputation, heure d’ambiance restreinte (11 :00 AM / 6 :00 PM) …, le carnaval 2024 de Port-au-Prince était pour le moins particulier. Sa particularité était telle que du premier au troisième jour, des tirs sporadiques ont été entendus dans les parages du haut lieu mythique, le Champ-de-Mars. 

Le journaliste de la Télévision Nationale d’Haïti (TNH), Jean Gardy Charles, qui couvrait les festivités, explique : « Lors de la première journée, des détonations ont été entendues aux alentours de midi, une heure de l’après-midi… Durant les deux autres journées, les tirs résonnaient à des heures, je dirais, programmées. Soit entre deux heures et quatre heures de l’après-midi. Le lundi gras, comme vous le savez, la foule a été prise pour cible, des blessés ont été enregistrés. 

Il y a eu un temps mort, mais malgré tout l’ambiance ne s’est pas arrêtée ; même si, avouons-le, la peur était palpable chez les gens. 

Perché sur son char, Dj kash kash demandait aux festivaliers de garder leur calme, de ne pas s’affoler, vu que leur protecteur (Dieu) est plus fort que la force du mal qui s’est accaparée des bandits armés. 

L’étonnant est que, beaucoup plus de gens avaient fait le déplacement au dernier jour…. Le nombre avait comme triplé. Dans un élan d’héroïsme, certains disaient qu’ils étaient venus au Champ-de-Mars pour prendre une balle (Nou vin Channmas pou n pran bal pa nou an) »

S’appuyant sur le contexte qui ne se prête pas trop à la fête, le jeune journaliste de la TNH parle quand bien même de trois journées de carnaval « réussies » pour les organisateurs. 

Avec quatre chars de Djs, quelques bandes à pied, des troupes de danse et artistiques, parmi elles une composée de personnes à déficience, des marchands de boissons et d’autres produits locaux et étrangers, le carnaval de Port-au-Prince a tout de même eu lieu envers et contre tous, sous le regard d’une Police Nationale mise à l’épreuve. 

Présent sur le parcours du 11 au 13 février, Tégramme360 a aussi fait le constat de quelques étudiants de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH), notamment ceux de la Faculté d’Ethnologie, qui, aux antipodes des dirigeants, croient que l’heure n’est pas à l’ambiance insouciante. Fort de cette raison, ces étudiants ont fait montre d’une certaine agressivité à l’égard des carnavaliers, en empêchant un char de défiler aux abords de la FE. C’était au troisième jour. 

Sans grandes couleurs, le défilé carnavalesque de cette année a eu lieu dans une Port-au-Prince aux rues insalubres et sans grands espoirs de redressement rapide. En somme, cette manifestation culturelle, forcée diraient certains, n’a pas totalement servi de thérapie aux citoyens qui, de par leur attachement à la culture et à la tradition, ont voulu se donner un petit moment de bonheur dans l’enfer qu’est devenu le pays. 

« An n kònen lanbi pou n rekonstwi Pòtoprens », c’est sous ce thème rassembleur mais peu connu que le carnaval de la capitale s’est tenu cette année. Dans l’intervalle, une question se pose : à combien s’est élevée l’enveloppe budgétaire allouée à la réalisation de cette manifestation culturelle ? Pour l’heure, c’est tout un mystère…  

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