Rejetés par Haïti,nombre de professionnels se retrouvent piégés en République dominicaine après leurs études

Rejetés par Haïti,nombre de professionnels se retrouvent piégés en République dominicaine après leurs études

Comme alternative à une offre universitaire limitée, beaucoup de parents haïtiens notamment ceux issus des classes moyennes ont pour réflexe d’envoyer leur progéniture faire des études supérieures en terre voisine. Et quand ils parviennent à boucler leur parcours académique, les diplômés sont souvent face à un dilemme. Retourner au bercail où les voies d’accès au marché du travail sont parsemées d’embûches ou rester de l’autre côté de l’ile, dans un système marqué par des préjugés de toutes sortes vis-à-vis de nos compatriotes et donc peu enclin à les accueillir… 

Santo Domingo, le 16 mars 2023.-

Depuis les années 1970, la République dominicaine représente une destination académique pour des jeunes haïtiens voulant effectuer des études supérieures. La grande vague a débuté à la fin des années 80 après la chute de la dictature des Duvalier occasionnant une instabilité institutionnelle dans le pays. Des parents ont résolu d’envoyer leurs enfants là-bas pour y poursuivre des études postscolaires.

Si la proximité avec la famille joue un rôle important dans ce choix, d’autres facteurs sont également à l’origine de ce départ massif de nos jeunes qui fréquentent, par milliers, des universités dominicaines.

L’instabilité politique chronique en Haïti, l’insuffisance de l’offre universitaire par rapport au nombre de bacheliers haïtiens ainsi que le manque d’infrastructures universitaires publiques et privées sont des facteurs majeurs à l’origine de l’augmentation du nombre croissant d’étudiants haïtiens en République dominicaine selon le spécialiste en Relations haïtiano– dominicaines, Edwin Paraison.

A ce jour, il n’existe pas de chiffre exact mais on parle de plusieurs milliers voire de dizaines de milliers de jeunes haïtiens qui font leurs études dans des universités dominicaines particulièrement à Santiago, à Santo–Domingo, à Dajabon, à San Pedro de Marcoris et à Bonao admet M. Paraison.

Les étudiants constituent donc une part importante de la communauté haïtienne de l’autre côté de la frontière. 

Ces jeunes optent généralement pour des carrières en médecine, génie civil, génie industriel, sciences infirmières et en odontologie selon Darley Lermithe, président de l’association des étudiants haïtiens de l’Université Autonome de Santo –Domingo (UASD).

Façade principale de l’Université Autonome de Santo Domingo (UASD) qui accueille plusieurs centaines d’étudiants haïtiens

Des études prises au sérieux en dépit des obstacles

La question migratoire reste le défi majeur de toutes les couches constituant la communauté haïtienne présente en terre voisine. En clair, les dominicains ont une très mauvaise perception des migrants haïtiens regrette l’étudiant finissant en médecine. Darley Lermithe est lui-même l’objet d’actes racistes et de discrimination sur le campus de l’université qu’il fréquente et dans la rue en raison notamment de sa couleur de peau.

« Ces mauvais traitements nous servent d’engrais pour booster notre motivation car nous savons pourquoi nous sommes là ». « C’est pour cette raison que le taux de réussite chez les étudiants haïtiens atteint les 90% car nous prenons nos études très au sérieux”, se réjouit–t –il.

Ce futur médecin ne se fait pas d’illusions en ce qui a trait aux difficultés qui l’attendent pour intégrer le marché du travail dominicain au terme de ses études.

« Il ont tout fait pour compliquer le processus en exigeant des documents qu’on n’arrive pas à réunir » déplore encore le professionnel en herbe en parlant des verrous mis en place pour tenir à distance les demandeurs d’emplois d’origine haïtienne.

« Une fois les études bouclées, le calvaire commence vu qu’on perd automatiquement le statut d’étudiant », se lamente Peterson Jules, diplômé en génie civil. Il critique surtout le fait que cela devient extrêmement difficile d’obtenir la carte de résidence-document réclamé par les employeurs-depuis l’arrivée de l’administration du président Luis Abinader.

Retourner au bercail n’est pas une option

Pourtant, malgré les écueils auxquels ils font face en République dominicaine, les jeunes professionnels abandonnent pour la plupart toute idée de rentrer au pays natal après leurs études. Le tableau présenté par Haïti est on ne peut plus grimaçant de leur point de vue. « A côté de l’insécurité qui y règne, il y a aussi le problème mystique car j’ai un ami qui a fait ses études en République dominicaine et qui est mort en Haïti de causes liées á la magie un mois seulement après son retour au pays”, témoigne Lermithe. 

Et intégrer le système de santé en Haïti est encore un autre calvaire souligne au passage l’étudiant finissant.

Des rêves abandonnés…

Souvent découragés par les obstacles rencontrés pour parvenir à évoluer dans leurs domaines d’études à l’autre bout de l’ile, beaucoup de diplômés haïtiens sont obligés de se reconvertir. C’est-à-dire, renoncer à leur projet initial et faire toutes sortes de pirouettes pour pouvoir survivre. 

« Après mes études, j’ai effectué mon service social en Haïti. Une fois retournée en République dominicaine, on m’a exigé un nouveau service social que je ne pouvais pas faire en dépit de mon statut de résidente-en raison de mon origine », se désole la jeune femme. Face à cette situation, elle a dû faire un choix. Celle de gérer ses ‘’petites affaires’’.

Des professionnels haïtiens forcés de travailler en dehors de leurs champs de compétence, Edwin Paraison qui fait office de recruteurs parfois pour certaines entreprises dominicaines, en rencontre souvent.

« Ici, on a des obligations mensuelles à honorer comme le loyer, l’eau et l’électricité » « Donc si vous ne voulez pas faire autre chose, c’est la galère », explique Richelande Pierre Louis, diplômée en médecine mais qui se retrouve à gérer son “Colmado”, une boutique, depuis 2 ans.

« Cette situation arrive souvent à des jeunes médecins qui après plus de 6 ans d’études n’arrivent pas à intégrer le système de santé dominicain », affirme l’ancien ministre des haïtiens vivant à l’étranger.

Vue de l’Université Technologique de Santiago (UTESA) où étudient des centaines de ressortissants haïtiens

La liste des déçus est longue. Peterson Jules, diplômé en génie civil à l’(UTESA) Université Technologique de Santiago depuis trois ans n’arrive pas encore à trouver un emploi stable dans son domaine en dépit de ses multiples démarches. Aujourd’hui, l’ingénieur travaille comme chauffeur affilié à l’application Uber.

Une poignée de professionnels haïtiens réussit malgré tout à se faire une place au soleil 

S’il est évident que tout est mis en place pour rendre difficile l’ascension des diplômés haïtiens en République dominicaine, il n’en demeure pas moins vraie qu’une minorité d’entre eux parviennent à s’imposer dans leur domaine respectif. 

Arrivé en République dominicaine en 2008, le professeur Aland Cadet a fait ses études supérieures en grande partie dans ce pays. Il détient à présent une maitrise en Neuropsychologie et une autre en éducation à l’UNIR. Diplômé également en gestion et production à l’UNAPEC, en éducation à Cambridge University, cet originaire de Carrefour enseigne, depuis 2011, à l’Université APEC, une prestigieuse université de Santo Domingo comme professeur de langues et Business en même temps qu’il dispense des cours dans divers collèges de la capitale dominicaine.

Le professeur Aland Cadet

Le professeur Cadet dit s’entendre très bien avec ses collègues dominicains aussi bien que les étudiants. Bien qu’il ne soit pas directement victime de racisme ou de discrimination sur son lieu de travail, M. Cadet dit reconnaitre qu’il s’agit d’un problème systémique dans ce pays. 

Avant de devenir une référence en matière de soins buco–dentaires à Santo – Domingo, le Dr Michaël Etienne (Dòk Maïko) a dû surmonter d’énormes difficultés pour boucler ses quatre ans et demi d’études en Odontologie à l’Univesité Federico Henriquez y Carvajal.

“Comme je n’avais personne pour me soutenir financièrement, j’ai dû passer des journées entières sans manger et vendre tout ce que je pouvais à mes camarades pour arriver à tenir le coup”, se souvient le PDG de Alive Dental Clinic.

Dr Michaël Etienne posant fièrement dans sa clinique

Ce professionnel a décidé d’ouvrir sa clinique quelques mois avant la pandémie du coronavirus. Le saint-marcois explique avoir été appelé à effectuer les chirurgies dentaires les plus difficiles alors qu’il ne recevait qu’une infirme partie des frais versés par les patients. 

Son statut de professionnel compétent dans son domaine, ne le met pas à l’abri des préjugés racistes, bien entendu, à cause de son épiderme.

Il invite les jeunes professionnels haïtiens bloqués par les questions administratives pour intégrer le marché du travail, à prendre des initiatives afin de gagner leur vie et se faire connaitre à travers des activités communautaires et sociales.

“Grâce à ma volonté et à ma détermination, aujourd’hui je reçois des patients de toutes nationalités et travaille de concert avec des confrères dominicains”, s’enorgueillit Dòk Maïko.

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