Le Conseil présidentiel ou la Cour de cassation, où est la solution?

Le Conseil présidentiel ou la Cour de cassation, où est la solution?

Sans président de la République, sans Parlement, sans Chef de gouvernement, Haïti fait face aujourd’hui à une grave crise institutionnelle. Peut-être la pire de son histoire. A ce tableau sombre s’ajoute une myriade de crises les unes plus aiguës que les autres. Elles sont d’ordre sécuritaire, alimentaire, environnemental, sociétal, moral… et pas seulement. 

C’est dans ce contexte que des acteurs politiques haïtiens, sous le regard et le diktat de la Communauté internationale, cherchent à trouver une solution qui se fait sempiternellement attendre, alors que la situation est intenable et exige ‘’célérité dans l’urgence’’. Si pour certains il faut, dans ce contexte d’exception, fabriquer de toutes pièces une institution pour apporter la solution, pour d’autres l’institution apte à résoudre tant soit peu les problèmes, existe bel et bien. 

Entre un Conseil présidentiel inconstitutionnel en chantier et une Cour de cassation mise en place en dehors des règles constitutionnelles, les opinions divergent. L’attente est longue ; la solution n’est à l’évidence pas pour demain.

Déjà un mois depuis que le Premier ministre déchu Ariel Henry est retenu en terre étrangère, le pays est en mode pilotage automatique. Considérant la cruauté inhumaine des gangs armés qui gagnent un territoire après l’autre avec une précision et une logique bien ‘travaillée’, d’aucuns prédisent l’imminence du ‘’grand naufrage sociétal’’. 

Entretemps, la lutte pour le pouvoir continue, sans vergogne. Tandis que l’intenabilité de la situation requiert humilité et sagesse politique pour mieux l’aborder, mieux la solutionner, les protagonistes jouent la carte de l’arrogance et croient détenir la panacée. Hommes de bonne volonté et pseudos faiseurs de miracles sont en exhibition tant dans les médias traditionnels que sur les réseaux socionumériques, pour tenter de convaincre un peuple qui semble compter beaucoup plus sur la Providence que sur des politiciens en panne d’idées transcendantes et salvatrices. 

Conseil présidentiel ou Cour de cassation ? 

Dans la recherche de la ‘’meilleure solution’’ aux crises, un Conseil présidentiel de sept (7) membres et deux (2) observateurs a été mis en place. Un document-cadre portant création, organisation et fonctionnement de cette structure transitionnelle mentionne que la durée de son mandat est de dix-huit (18) à vingt-quatre (24) mois au plus, sans possibilité de prolongation. 

Vu l’étendue des défis à relever allant de la sécurité jusqu’à l’environnement en passant par l’apaisement social, d’aucuns se demandent si ces Conseillers disposeront d’une quelconque baguette magique pour faire avancer les choses en si peu de temps, permettant ainsi un retour à l’ordre institutionnel et démocratique. En attendant, sous les auspices de la Caricom, le dialogue de sourds se poursuit. C’est la corde raide. 

La pomme de discorde au sein même de cette structure appelée à apporter solution aux crises demeure aujourd’hui encore sa ‘’Présidence’’ ; objet de toutes les convoitises et de toutes les tentations. Autant dire que le CP est, à s’y méprendre, en passe de devenir une crise s’ajoutant aux crises. 

Dans l’intervalle, des voix s’élèvent pour réclamer que les commandes soient confiées à un juge à la Cour de cassation, question de donner au ‘’prochain pouvoir’’ une allure tant soit peu constitutionnelle. 

L’homme de loi Samuel Madistin s’inscrit dans cette lignée. Pour lui, la Cour de cassation est le ‘’moins mauvais choix’’. Ses arguments contre le Conseil présidentiel sont d’autant plus tranchants qu’il qualifie cette structure de transition de ‘’Monstre à sept têtes’’, qui s’accorde beaucoup plus de pouvoirs que ceux conférés au Président élu au suffrage universel direct en Haïti depuis 1987. 

Même son de cloche du côté de la Fédération Protestante d’Haïti (FPH) qui naturellement, pour peu que son Président, le Pasteur Calixte Fleuridor, soit membre du Haut conseil de la transition (HCT) mis sur la touche, rejette la mise en place du Conseil présidentiel. 

Grosso modo, cet organisme religieux invite à respecter ‘’l’esprit le plus proche de la Constitution’’. Dans la foulée, le Directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (Rnddh) parle d’une voix discordante. Proche de l’Accord Montana, acteur de premier plan au Conseil présidentiel, Pierre Espérance fait valoir qu’il n’existe aujourd’hui ni de solution institutionnelle, ni de solution constitutionnelle. 

Pour lui, la solution doit être indubitablement politique et consensuel. Ainsi, le défenseur des Droits Humains rejette d’un revers de main l’idée de se tourner vers la Cour de cassation dans la perspective de la transition, arguant que les juges ont été nommés de manière illégale par le Premier ministre Ariel Henry, en février 2022. 

Alliés jusqu’au bout et changement de position 

Empêché de rentrer dans son pays, Ariel Henry peut encore compter sur l’appui d’André Michel, d’Edmonde Supplice Beauzile, de Marjory Michel et consorts. Une correspondance adressée au Président de la Caricom, Mohamed Aarfan Alli, laisse transparaitre le désarroi des alliés du Chef du gouvernement de facto, « retenu malgré lui à l’étranger, [ce qui] donne la désagréable impression qu’il s’agit là d’un moyen de pression inacceptable pour mettre en œuvre une stratégie bien orchestrée ». 

Bien que les supporteurs d’Ariel Henry opposaient toujours une fin de non-recevoir à l’idée de désigner un Juge de la Cour de cassation pour mener la barque du pays aux côtés du neurochirurgien dans l’esprit du bicéphalisme constitutionnel, aujourd’hui le langage a changé. 

« Nombreux sont celles et ceux qui, de plus en plus, croient que ce Conseil Présidentiel de Transition ne pourra pas fonctionner et qui pensent que la moins mauvaise formule serait de revenir à ce qui était prévu initialement par la Constitution de 1987 dans des circonstances pareilles, à savoir confier la présidence à un juge de la Cour de Cassation qui travaillera avec un Premier ministre et un gouvernement inclusif d’unité nationale d’autant plus que cette formule a fait ses preuves pendant la période difficile de 2004 à 2006 et permis malgré tout, l’organisation d’élections libres avec un fort taux de participation », écrivent Fusion, SDP, INITE, KID et Consorts dans la lettre en date du 31 mars 2024.

Pour ou contre le Conseil présidentiel, favorable ou défavorable au recours à la Cour de cassation, la nation n’attend que « La » solution, sans trop se soucier de sa provenance. Dans ce contexte inouï où les écoles affichent portes closes, où déjà la pénurie de carburant s’installe, où le pouvoir d’achat baisse quotidiennement, où des entreprises optent pour le licenciement massif ou la fermeture, où seuls les gangs font autorité, la bonne foi doit primer les intérêts politiques mesquins.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Social Media Auto Publish Powered By : XYZScripts.com