“Les gangs nous ont chassés du pays”.Entre adaptation et pragmatisme, les témoignages poignants de certains rescapés qui se lancent à la conquête du rêve américain

“Les gangs nous ont chassés du pays”.Entre adaptation et pragmatisme, les témoignages poignants de certains rescapés qui se lancent à la conquête du rêve américain

Chassés par l’insécurité créée par les gangs et la misère dans certains cas, les haïtiens ont fui leur pays par milliers, voire par dizaine de milliers au cours de ces trois dernières années. Un phénomène qui n’a fait que s’accentuer à cause de la détérioration du contexte sécuritaire devenu de plus en plus délétère où les bandits ont paradoxalement poussé l’État dans ses derniers retranchements par le contrôle de pans entiers du territoire. Par mer, par voie aérienne comme dans le cas du programme de libération conditionnelle communément appelé « Programme Biden » ou par des pèlerinages conduisant à la frontière américano-mexicaine, tous les moyens sont bons pour s’échapper vers les Etats-Unis, pays perçu comme étant l’El Dorado par la majorité de ces voyageurs, souvent contrariés dans leur rêve par la brutale réalité qu’est le fait de vivre sur le territoire de l’Oncle Sam. 

Boston, le 28 mars 2024.-

« J’ai quitté mon pays à cause des troubles politiques. », se désole Vénel, père de deux enfants.

Cet haïtien révèle avoir déserté Haïti après de multiples menaces de mort de la part de gangs, notamment lorsqu’il travaillait comme directeur d’école et que des bandits lui exigeaient de l’argent quasi quotidiennement pour le laisser en vie. Pour se mettre à l’abri du danger, il a d’abord emmené sa femme enceinte et son jeune fils au Brésil. « De là, nous avions parcouru l’Amazonie ». 

« Nous avons dû marcher sur des cadavres », a déclaré le père de famille tout en insistant « Notre objectif était de venir ici et de trouver une vie meilleure, pas seulement pour nous, mais aussi pour toute notre famille que nous avons laissée derrière nous ».

L’État du Massachusetts étant l’une des destinations privilégiées des migrants, particulièrement les haïtiens, s’est retrouvé à gérer depuis plusieurs mois une vague de personnes sans-abris dont certains continuent de dormir à même le sol dans l’un des terminaux de l’aéroport International Logan de Boston. Dans sa stratégie de réponse à cette crise sans précédent, le gouvernement du Commonwealth a ouvert au moins 70 centres d’accueil qui se sont révélés insuffisants. La réponse comprend également d’autres aspects y compris l’organisation de rassemblements communautaires et des foires de travail dans le but d’offrir des opportunités d’emploi à ces migrants nouvellement arrivés. 

L’idée est de faire en sorte que ces nouveaux venus dans l’État soient en mesure de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Cette semaine encore, la gouverneure démocrate Maura Healey a mis en place de nouvelles règles pour les migrants hébergés dans les sites sélectionnés dans l’espoir d’accéder à un refuge familial. Ils doivent présenter une nouvelle demande de séjour chaque mois et démontrer qu’ils recherchent un emploi et suivent des cours d’anglais.

L’objectif est de libérer de l’espace dans des refuges surchargés et saturés, conçus pour constituer un filet de sécurité pour les familles du Massachusetts. Selon les informations disponibles, des milliers de résidents de longue date du Massachusetts se trouvent également dans le système de refuge. Et des centaines (soit plus de 730 à date) d’autres familles sont sur une liste d’attente pour tenter d’y accéder. 

Ancien responsable d’école en Haïti, Vénel fait partie maintenant de ces nombreux migrants qui travaillent Chez Catania Oils à Ayer, une petite ville du Massachusetts. Sa principale responsabilité est d’inspecter des bouteilles d’huile de cuisson au niveau de la chaîne de production. Un travail qu’il a appris à faire par la pratique à l’intérieur de l’usine.

En dépit des critiques acerbes de la part des opposants à la migration, beaucoup reconnaissent l’importance d’avoir à disposition cette main-d’œuvre provenant de l’extérieur.

Les entreprises MA accueillent de nouveaux effectifs : « Écoutez, nous avions un problème de recrutement bien avant Covid, n’est-ce pas ? Nous ne pouvions pas remplir de rôles… »

Les entreprises locales ont déclaré à la journaliste d’investigation Kerry Kavanaugh de Boston 25 News qu’elles avaient désespérément besoin de travailleurs. Et elles se tournent vers la nouvelle main-d’œuvre pour combler des postes qui, dans certains cas, sont ouverts depuis des années.

« Je travaille dur et il y a beaucoup de gens comme moi qui veulent juste venir travailler », a déclaré Handy. « Si nous avions eu un bon système d’emploi, j’aurais pu trouver un bon travail et j’aurais pu travailler très dur dans mon pays confie ce jeune homme dans la trentaine pour qui rester en Haïti n’était pas une option.

Sur les milliers de nos compatriotes qui ont opté pour l’État du Massachusetts, très peu ont réussi, à date, à obtenir leur carte de travail, véritable sésame pour espérer intégrer le marché de l’emploi aux États-Unis. Selon les données du Bureau exécutif du travail et du développement de la main-d’œuvre du Massachusetts, au 25 mars, les employeurs du Commonwealth avaient embauché 446 migrants. 583 autres sont inscrits dans des cours d’anglais.

Wislaine et ses compatriotes, suivant un cours d’anglais

Au 22 mars, il y avait 3 767 migrants nouvellement arrivés dans les refuges d’urgence gérés par l’État dont des centaines sont des enfants. Le nombre total de personnes bénéficiant du système d’hébergement d’urgence pour les familles s’élève à 7 512 personnes.

De novembre 2023 à aujourd’hui, Catania Oils a embauché six (6) travailleurs migrants comme opérateurs de machines et de chariots élévateurs.

« Ils veulent travailler. Ils veulent être ici. Ils veulent apprendre », a déclaré Basile, chargé des opérations de l’entreprise. « Ils veulent subvenir aux besoins de leur famille. Ce n’est pas différent de l’époque où mon arrière-grand-père est arrivé ici.

« C’est une grande porte qui s’ouvre pour moi », estime Wislaine, l’une des nouvelles femmes de ménage de l’hôpital de Salem (ville côtière située dans la périphérie de Boston). 

Cette jeune mère a dû prendre ses jambes à son cou suite à son séjour cauchemardesque dans l’enfer des gangs à cause de son enlèvement. 

Elle et sa fille aînée ont été kidnappées et abandonnées au milieu de nulle part et ont eu leur libération uniquement parce que sa fille n’arrêtait pas de pleurer.

« Ne vous découragez pas. Si vous rêvez de faire quelque chose, vous pouvez le faire » croit Wislaine dur comme fer. 

« Ils ne prennent pas d’emploi. Les postes sont ouverts et ils acceptent les postes vacants », a déclaré Daniel Correia, directeur général des services environnementaux de l’hôpital Salem. Il avoue que son équipe a manqué de personnel pendant environ trois ans. Les migrants ont changé la donne, remplissant six (6) postes vacants depuis février.

“Ils voulaient vraiment travailler”, a déclaré Correia. “Ils ont été inspirés par l’ensemble du programme et tout simplement très heureux d’avoir une opportunité, une chance.”

Les obstacles au travail : « Il faut avoir un logement pour pouvoir trouver un emploi près de chez soi »

« Aux États-Unis, nous avons des millions d’emplois ouverts qui ne peuvent pas être pourvus. Ainsi, ces gens qui traversent la frontière, entrent sur le marché du travail aident notre économie », a déclaré Jeff Thielman, président et directeur général de l’Institut international de la Nouvelle-Angleterre ou INNE. « Ils arrivent aussi parce que nous n’avons pas été en mesure de gérer le flux de personnes aussi bien que nous aurions dû le faire. »

INNE, une agence de réinstallation, aide les nouveaux arrivants à se relever. Thielman affirme que même si la plupart des migrants ici dans le Massachusetts sont impatients d’occuper ces emplois, l’obtention d’un permis de travail n’est que la première pièce du puzzle.

« Vous devez avoir un logement pour pouvoir trouver un emploi près de chez vous », a-t-il déclaré à Kavanaugh.

Thielman affirme qu’il faut faire davantage pour trouver et créer des logements abordables à long terme.

« Certaines personnes qui séjournent dans des hôtels et des refuges trouvent un emploi près de chez elles. En termes de stratégie pour obtenir un appartement permanent, cela reste un défi.

Des réfugiés haïtiens dormant à même le sol dans l’un des terminaux de l’aéroport international Logan de Boston

Pour l’instant, Wislaine et sa famille vivent dans des dortoirs autrefois vides de l’université d’État de Salem, transformés en refuge.

Vénel, Handy et leurs familles quant à eux, se trouvent dans un refuge près de l’usine Catania Oils.

Au début du mois de mars, l’État du Massachusetts a annoncé un contrat avec huit agences de réinstallation pour aider les migrants à trouver un logement et un emploi stables.

Les organisations à but non lucratif, dont INNE, reçoivent une partie de 10,5 millions de dollars pour sortir 400 familles des abris d’ici la fin de l’année.

Selon les considérations de Thielman, il s’agit de créer un modèle efficace que le reste de l’État pourra suivre.

Migrants en masse : « Nous pensons toujours aux besoins de notre famille »

Les travailleurs nouvellement embauchés rencontrés par Kavanaugh se disent reconnaissants de l’opportunité de repartir à zéro et de créer une vie plus sûre et plus stable pour leur famille.

“Cela nous donne une opportunité incroyable”, a déclaré Vénel. « Nous pensons toujours aux besoins de notre famille. »

Et ils rêvent d’en avoir plus un jour.

« Mon rêve est de devenir entrepreneur ici, d’avoir ma propre entreprise », a déclaré Handy.

Cependant, ces rêves les ont éloignés de tout ce qu’ils connaissaient et aimaient en Haïti.

« Ils ne partent pas par choix, mais parce qu’ils y sont obligés », a déclaré Vénel. “Ils recherchent juste une certaine stabilité loin de l’horreur qui règne au pays natal.”

Avec Boston 25 News

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